La girouette politique et le syndrome de la boîte

 Par Suzy Wong

La vie en noir et blanc de la zone grise

 Je suis une experte en caméléonisme politique. Un jour je suis une "foutue p'tite Poil conservatrice" pour un, et le lendemain, une "foutue libérale" pour un autre. C'est magique, n'est-ce pas? On dirait que tout le monde a une meilleure idée de qui je suis que moi-même! Et le plus beau? Je suis totalement déracinée, sans camp, sans étiquette. Ce qui, manifestement, me rend inférieure. Je devrais prendre exemple sur eux, ces êtres tellement plus évolués, qui ont réussi à trouver leur petite boîte politique bien douillette.

Si je prône les transports en commun, le tramway à Québec, le vélo tout partout à Montréal pis à Laval, je suis une folle finie de communiste qui veut nous ruiner avec des projets inutiles. Si je me dis écologiste, mais que je suis pas convaincue que l’avenir n’est pas juste dans l’électrification des voitures, je suis une hypocrite qui fait de l'éco-blabla.


Si je suis pour une responsabilisation des citoyens de se présenter à leurs rendez-vous médicaux faute de pénalités financières si aucune raison valable, je suis du côté du portefeuille et pas des services aux citoyens. Si je dis que les enseignants ont tout l’été et le temps des fêtes pour prendre leurs vacances au soleil au lieu de l’année scolaire en cours, je suis une ostie de sans-cœur qui veut couper les acquis aux gens qui sont dévoués à nos enfants.


Si je dis que la réalité d’un Québécois qui est d’une autre ethnicité, qui se voit, c’est toujours un p’tit moins pour certains ici, je suis une ostie de fille pas reconnaissante de tout ce que le Québec lui a donné. Si je critique les taxes, mais que je suis d'accord qu'on doit financer l'école et la santé, je suis une parvenue qui a pas de valeurs sociales.


Si je pense que la politique ne devrait pas s'immiscer dans toutes les sphères de notre vie, mais que je réclame de l'aide pour ceux qui en ont vraiment besoin, je suis une petite opportuniste sans conviction. Si je dis qu'il faut se parler pour s'entendre mais que je refuse de voter pour n'importe qui, je suis une petite pleurnicheuse qui ne sait pas ce qu'elle veut.


Et si je crois en la liberté d'expression, mais que je pense que les propos haineux ne devraient pas être tolérés, je suis une gauchiste qui veut la censure. Si je dis qu'un vieil humour n'est plus pertinent, mais que je ne suis pas pour que le comédien soit banni à vie, je suis une lâche qui a pas de couilles. (Ça tombe ben, j’en ai pas!)


Si je pense qu'il faut un gouvernement fort pour protéger le peuple, mais que je n'ai pas trouvé brillante l’idée du couvre-feu pour la population générale même si je m’y suis conformée, je suis une conspirationniste de l'establishment. Si je dis que nos infirmières sont des héroïnes, mais que je critique leur embauche au privé, je suis une ingrate qui crache sur nos anges gardiens.


Si je dis qu'il faut couper dans les dépenses publiques, mais que je veux de meilleurs services, je suis une capitaliste froide qui veut affamer le monde. Si je pense que la souveraineté est une option, mais que je suis contre la séparation à tout prix, je suis une colonisée qui a honte de sa culture.


Ce qui est fascinant, c’est que chacune de ces étiquettes me vient de gens qui, au fond, partagent les mêmes craintes et frustrations. Leurs boîtes sont peut-être différentes, mais elles sont toutes construites sur le même principe : la peur de ce qui ne cadre pas, de ce qui est complexe, de ce qui ne peut pas être rangé. Et si au lieu d'être une boîte, j'étais juste une personne? Une personne qui pense, qui s'adapte, qui ne rentre pas dans les cases. Serait-ce si terrible?


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