La dernière ligne de défense : Pourquoi un dialogue avec l’ennemi est un acte de survie

 Par Suzy Wong

PSPP au podcast Rebel News d’Evant


Un dialogue de sourds qui vaut de l'or?

Le chef du Parti Québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a récemment fait les manchettes pour sa participation à un podcast de Rebel News, le média d'extrême droite d'Ezra Levant. L'événement a provoqué une onde de choc et un torrent d'indignation, notamment sur les réseaux sociaux. Mais ce grand scandale soulève une question essentielle : la conversation entre deux pôles est-elle toujours un mal, même quand les convictions sont aux antipodes?

La peur de la conversation

Pour beaucoup, l’idée même de s’asseoir à une table (ou devant un micro) avec un adversaire idéologique est une trahison. C’est comme si le simple fait d’échanger des mots pouvait contaminer vos idées et légitimer celles de l’autre. Dans ce scénario, la seule réponse acceptable est l’isolement, le silence et la condamnation publique.
On a beau être d’accord sur le principe que « la meilleure façon de vaincre une mauvaise idée, c'est une meilleure idée », la réalité, c'est qu'on a de plus en plus peur de confronter des idées différentes. On préfère se conforter dans nos bulles de pensée, nos « écho-chambres », où notre vision du monde est constamment confirmée par les autres.

Une liberté d'expression à deux vitesses

Le hic, c'est qu’on ne peut pas prôner la liberté d'expression et, en même temps, refuser catégoriquement de parler à ceux qui ne pensent pas comme nous. Si la liberté d’expression n’est valable que pour nos amis, alors elle n’est pas vraiment libre. C’est une liberté conditionnelle, une liberté à deux vitesses.

C'est là que réside l'ironie : le scandale entourant la participation de Paul St-Pierre Plamondon à un podcast de Rebel News a paradoxalement donné une formidable plateforme à l'idéologie qu’il est censé combattre. C'est en dénonçant le podcast qu’on l'a rendu viral et qu'on a donné de la visibilité à ses créateurs.

Le dialogue : la dernière ligne de défense

Le dialogue, même difficile, est un rempart contre la polarisation. On peut ne pas être d'accord sur le fond, mais le simple fait de s'écouter permet, à la base, de se rappeler que l'autre est un être humain. Bien sûr, il y a des limites, comme le discours de haine. Mais pour tout le reste, la conversation est un outil puissant, une façon de comprendre l’autre, même si on ne le pardonne pas.
La démocratie repose sur la capacité à débattre et à trouver un terrain d'entente. Si les conversations s'arrêtent, la polarisation augmente. Le fait qu'un politicien majeur participe à une discussion avec un individu aussi controversé peut être interprété non pas comme un manque de jugement, mais comme le courage de faire face à l'ennemi dans son propre camp, un geste qui nous rappelle que, même si on ne s’entend sur rien, on doit se parler pour ne pas sombrer dans l’indifférence ou, pire, dans la guerre.

René Lévesque se retournerait-il dans sa tombe?

L’argument selon lequel René Lévesque se retournerait dans sa tombe face à cette action politique est non seulement simpliste, mais il déforme aussi l'héritage d'un homme qui a toujours fait preuve de pragmatisme. On a trop souvent tendance à idolâtrer les figures historiques et à les transformer en icônes rigides, incapables de faire preuve de nuance.

Lévesque n'était pas un autoritaire. Il était un grand communicateur, un stratège et un politicien qui savait quand il fallait tendre la main, même à ses adversaires les plus farouches. Il a bâti un mouvement hétéroclite, a négocié avec un gouvernement fédéral qu'il trouvait souvent illégitime et a su rallier à sa cause des gens de tous les horizons.

Il est naïf de croire qu'il aurait fui une occasion de faire progresser ses idées, même dans l'antre d'un adversaire. Lévesque était l'homme des conversations difficiles, l'homme qui croyait que le dialogue, même entre des personnes aux convictions opposées, était le seul chemin possible. C'est en ce sens que la participation de Paul St-Pierre Plamondon au podcast d'Ezra Levant n'est pas un reniement de l'héritage de Lévesque, mais une continuation de sa philosophie de l'action politique.

Dans notre monde polarisé, le dialogue est souvent perçu comme une faiblesse plutôt qu'une force. Pourtant, c’est notre dernière ligne de défense contre l’indifférence et le conflit. S’écouter mutuellement, même si nos opinions sont à des années-lumière, nous rappelle que l’autre est un être humain. Bien sûr, il y a des limites, surtout avec les discours de haine, mais la conversation demeure un outil puissant pour la compréhension. C'est dans ce contexte que le courage de s'engager avec ceux qui nous sont opposés est un acte essentiel.

Robinson contre Kirk : L'analogie d'un dialogue inattendu

L'analogie de Kirk et Robinson est frappante. Pensez à l’idée absurde que, plutôt que de résoudre leur conflit par la violence et le meurtre, ils aient opté pour le dialogue. Si Robinson avait choisi de confronter Kirk avec des arguments au lieu d'une balle dans la nuque, la confrontation aurait été d'un tout autre niveau. Le conflit armé est simple, direct, et spectaculaire. Le dialogue est complexe, exigeant et souvent peu satisfaisant.

Mais c'est précisément dans cette complexité que réside la valeur du dialogue. En politique comme dans la vie, une conversation avec un adversaire irréductible peut révéler des failles, exposer des contradictions, et même, parfois, ouvrir des portes insoupçonnées. C'est en affrontant l'ennemi dans le respect des règles et de la pensée que l'on gagne. L'affrontement verbal n’est peut-être pas aussi cathartique que le conflit physique, mais il est de loin plus constructif. Le fait qu’une personne choisisse la voie de la discussion, aussi controversée soit-elle, mérite d’être souligné comme un pari risqué qui vaut la peine d'être tenté dans un monde de plus en plus fracturé…

On pourrait même aller jusqu'à dire que le geste de Robinson, violent,  n'a servi qu'à renforcer la position de Kirk auprès de ses fidèles. En faisant de l'ennemi (celui du tueur) un martyr, il a involontairement cimenté son héritage et donné une force inattendue au camp de Kirk.

Dans un monde où la politique est devenue une guerre de communication, ce n'est pas celui qui a raison qui l'emporte, mais celui qui réussit à se positionner comme la victime. Le geste extrême de Robinson n'a pas mis fin à la discussion, il l'a simplement transformée en une nouvelle arme pour ses adversaires. Il a fait passer tout un groupe d'individus pour des "dangereux" et leur a offert le meilleur argument qui soit : l'image d'un héros immolé sur l'autel de la haine de l’autre!

Finalement, le plus grand paradoxe de la polarisation moderne est que la violence et l'intolérance ne font que nourrir le discours qu'elles cherchent à détruire. On en revient toujours au même point : un dialogue, aussi difficile soit-il, est toujours plus constructif qu'une action qui ne fait qu'ajouter un nom à une liste de martyrs. Et croyez-moi, je ne considère pas Kirk comme un martyr et je ne verserai pas de larmes pour lui!








Commentaires

Messages les plus consultés