Le rêve américain : Révolte en veilleuse
Par Suzy Wong
Le pays de la liberté, à condition de ne pas trop en faire
Pourquoi les Américains ne se révoltent-ils pas? La question est aussi pertinente que de se demander pourquoi les mouches ne boycottent pas les fenêtres. Pour faire court, la réponse tient en trois points: les élections, les divergences, et la paresse. D'abord, on leur a vendu l'idée que le vote est une révolution en soi, un peu comme si choisir entre deux types de caféine pouvait changer le monde. Ensuite, ils sont trop occupés à se crêper le chignon sur des futilités pour s'unir. Un partisan de l'équipe de football des Cowboys de Dallas ne va pas aller faire la révolution avec un fan des Eagles de Philadelphie, même si leur gouvernement est une blague. Enfin, organiser un mouvement national, c'est fatiguant. Mieux vaut se plaindre sur Facebook depuis son canapé, c'est plus productif.
Le pays des droits, surtout le droit de ne rien faire
Faut bien comprendre une chose : les Américains ont un sens aigu de la liberté. Ils ont la liberté de choisir leur marque de céréales, la liberté de critiquer leur voisin pour son gazon mal taillé, et la liberté de râler sur Twitter avec des hashtags indignés. Mais une vraie révolte? Ça, c'est pour les peuples qui n'ont pas de centres commerciaux, je suppose.
Prenez par exemple les élections. Le système leur a fait croire que la démocratie, c'est comme un menu au restaurant. Si le plat du jour ne vous plaît pas, vous pouvez toujours espérer que le plat de demain sera un peu moins insipide. Les gens se disent : "Je ne vais pas aller brûler des drapeaux, je vais aller glisser un bulletin de vote pour un candidat qui va promettre de me rendre ma dignité... et peut-être une réduction d'impôt." C'est une stratégie brillante, parce que ça permet d'être révolutionnaire sans jamais avoir à quitter sa maison.
Trop occupés à se détester pour se soulever
Ensuite, il y a la fameuse polarisation politique. Les Américains sont tellement divisés que leur seule chance de s'unir, ce serait pour s'entendre sur le fait qu'ils ne peuvent s'entendre sur rien. Un manifestant anti-gouvernement à New York serait plus enclin à se battre avec un autre manifestant anti-gouvernement en Arizona pour savoir qui est le plus anti-gouvernement. Le pays est tellement fracturé que si le gouvernement actuel tombait, il y aurait une guerre civile pour décider quel nouveau gouvernement serait le plus nul. C'est ça, le progrès à l'américaine.
Révolte ou Black Friday : Le dilemme de l'Américain moyen
Et enfin, l'action collective. C'est un peu comme demander à un banc de poissons de se mettre d'accord sur une destination de vacances. C'est long, c'est compliqué, et à la fin, on se rend compte que le goéland a déjà mangé la moitié du groupe. Un mouvement de masse demande de la coordination, des efforts et, surtout, de ne pas se laisser distraire par un nouveau film de super-héros. Et là, on a un problème. Un peuple qui peut passer trois jours à faire la queue pour un téléphone qui sera dépassé dans six mois, mais qui ne peut pas passer trois heures à manifester pour ses droits, a fait ses choix. Et ces choix, il faut les respecter. Ou du moins, les regarder d'un air amusé, comme on regarde un feu de camp qui s'éteint.
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