Le Guide de l'ignorance heureuse : L'Alberta bannit les livres pour votre bien
Par Suzy Wong
En Alberta, la nouvelle a frappé comme une mouffette écrasée sur la route : on censure La Servante écarlate dans les écoles. On pourrait se dire que c’est une tragédie. Mais soyons honnêtes, c’est une comédie en trois actes, écrite par des génies de la farce.
Acte 1 : Le Grand Ménage
Imaginez la scène : un directeur d'école, le regard d'un missionnaire en terre hostile, balaie d’un revers de main tous les livres qui sentent un peu trop la réflexion. 1984 ? Trop subversif. Les aventures de Tintin ? Trop de voyages en terre inconnue, ça pourrait donner des idées. Mais là, La Servante écarlate ! Le jackpot de l’hérésie ! Pourquoi ? Parce qu’il y a des thèmes "adultes". Et oui, si on veut former de futurs citoyens exemplaires, il faut les protéger de la réalité. On leur a déjà caché la vérité sur le père Noël, on ne va pas en plus leur montrer ce qu’est une dystopie basée sur la théocratie. Ce serait comme expliquer à un poisson qu’il y a de l’eau dans la mer.
Acte 2 : L'Argumentaire en Or massif
Les parents, ces nobles gardiens de la vertu, se sont levés comme un seul homme pour défendre leurs petits chéris. "Ma fille ne va pas lire ça, elle va penser que le monde est méchant !" s’écrie une mère, une larme de conviction au coin de l’œil. "Nous voulons que nos enfants apprennent à vivre dans le bonheur, pas dans la peur !". Oui, la peur. Cette émotion tellement inutile quand on habite en Alberta. Après tout, les ours, les froids polaires, et la politique, c’est de la rigolade. Mais un livre, par contre, ça, c’est dangereux.
Acte 3 : Le Grand Fiasco
Le plus beau dans tout ça, c’est le résultat. Interdire un livre, c'est comme interdire à un adolescent de sortir. D'un coup, le truc ennuyeux devient la plus grande attraction du coin. Les élèves, qui n'auraient jamais touché La Servante écarlate avec un bâton de dix pieds, se sont rués sur les bibliothèques publiques. Ils l'ont téléchargé, partagé, lu, et analysé comme s'il s'agissait du dernier épisode de leur série préférée. L'interdiction a fait une publicité dont Margaret Atwood aurait rêvé. D'ailleurs, on peut l'imaginer rire dans sa barbe, en se disant que ces braves Albertains, avec toute leur bonne volonté, viennent de faire d'elle une rockstar du rayon littérature.
Au final, on a réussi à protéger les jeunes d’un livre qui, ironiquement, parle de la protection des jeunes. Une performance digne des plus grands cirques. Et comme la vie est un éternel recommencement, on attend avec impatience le prochain livre à bannir. Peut-être le dictionnaire ? Après tout, ça contient des mots, et on ne sait jamais ce que les mots pourraient inspirer.
Le Catalogue des horreurs littéraires
Pour commencer, il faut impérativement rayer des programmes scolaires et des bibliothèques la quasi-totalité de la littérature classique. C’est une vraie mine de problèmes.
- Le petit chaperon rouge : ce conte est une apologie du vagabondage et encourage l’échange de conversations avec des prédateurs. C'est un guide pour se faire manger, ni plus ni moins. Il faudrait le remplacer par une version où le chaperon est un drone de surveillance et le loup un programme de gestion des risques.
- Le Petit Prince : ce livre parle de relations avec des renards et de voyages interstellaires. C’est de la zoophilie et de la science-fiction, deux thèmes qui mènent directement à la confusion et au communisme. La morale ? "On ne voit bien qu'avec le coeur." Absurde ! On voit avec des yeux, bordel !
- 1984 : ce livre de Georges Orwell est une insulte à l'intelligence. Comment peut-on suggérer qu’un gouvernement pourrait nous surveiller ? C'est de la pure science-fiction, on est en 2025, pas dans les années 80 !
Et puis, il y a les livres pratiques, ceux qui sont insidieux car ils prétendent être utiles.
- Des livres de mathématiques : la géométrie, par exemple. À quoi ça sert de calculer la circonférence d'un cercle ? On sait déjà que c'est rond, on n'a pas besoin de savoir pourquoi ! La trigonométrie, c'est encore pire. C'est une conspiration pour rendre les gens trop intelligents. Un point, c’est tout.
- Les livres de cuisine : ces ouvrages glorifient l’art de combiner des ingrédients pour créer de nouvelles saveurs. C’est une porte ouverte à la diversification des plaisirs, au risque de devenir trop gourmand. Mieux vaut s’en tenir à une diète à base de blé, de lait et de viande, comme l'ont toujours fait nos ancêtres.
Bref, restons dans les rangs
La conclusion est limpide. Si l'on veut un peuple heureux et facile à diriger, il faut éviter à tout prix la connaissance. La lecture est un risque, un aller simple vers la complexité et l’esprit critique.
Pour que la paix règne, il faut que tout le monde pense la même chose, et pour cela, il faut s'assurer que personne ne pense trop. Le bonheur, en fin de compte, se trouve dans l'ignorance.
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