L'art du texto-roman

 Par Suzy Wong

Billet inspiré par @GenevieveG

Ben, là, on s'entend, on est entre nous autres, ici, alors on peut se parler comme on est.

Moi, je me dis, on a beau être dans le temps du cellulaire pis des appels vidéo, je me souviens encore du bon vieux téléphone de mes parents. Le genre qui était scotché au mur, pis si t'avais besoin de parler à quelqu'un, fallait rester là, debout, avec la maudite corde toute entortillée. C'était plate en maudit, mais au moins, ça obligeait le monde à se parler en vrai.

Asteure, c'est ben différent. Tout le monde se texte pour dire n'importe quoi, sauf pour les vraies affaires. Sauf que si un de mes chums me "calle up" au lieu de me texter, je sais tout de suite qu'il veut quelque chose. C'est la règle d'or: le texto, c'est pour les niaiseries, pis l'appel, c'est pour les urgences... le genre qui coûte des sous!

Mes textos, un sport extrême

Faut dire que le pire de la gang, c'est moi. Je me demande souvent si mes textos, c'est pas un sport olympique. Pour moi, un message, c'est pas juste un texte, c'est une œuvre, une vraie discipline de fond pour les doigts.

Quand un ami me texte "quoi de neuf?", je suis incapable de juste répondre "rien de spécial". Ben voyons donc! Je dois d'abord faire un bilan complet de ma journée. Rien de spécial, mais si tu veux savoir, ce matin, le chien a vomi sur le tapis. C'est un vomi de la bonne couleur, ça veut dire qu'il est en santé, on dirait. En tout cas. Après, j'ai mangé un toast avec de la confiture de fraise qui a coulé sur mes jeans neufs. J'ai un rendez-vous avec le plombier parce que la toilette coule encore. Je pense que le plombier va me coûter un bras, puis une jambe. À part de ça, rien de spécial. Pis toi?

C'est mon style. Si quelqu'un me demande si je suis libre ce soir, je vais pas juste écrire "oui". Jamais! Je dois donner tous les détails pertinents. Oui, je suis libre, mais pas complètement. On pourrait se voir, sauf que je dois finir de regarder ma série sur Netflix. Puis j'ai une charge émotionnelle à gérer, je suis un peu sur le bord de l'épuisement mental à cause d'une conversation que j'ai eue hier. On se rejoint à 19h30? Je vais être en retard de six minutes si le trafic est normal. Mais, si je suis en avance, je vais rester dans l'auto pour prendre le temps de m'ajuster à ton énergie.

Tu comprends? Pour moi, un texto, c'est une occasion de tout dire, même ce que l'autre personne n'a pas demandé. C'est l'art de la sur-communication. Le genre d'art avec lequel on pourrait construire une cabane dans le bois si on se perdait. C'est pas juste un message, c'est pour survivre. C'est ça, la vie moderne, ça a pas de bon sens. Mais au moins, on a le choix de comment on veut niaiser le monde.