Arkansas : Retour vers le futur (mais en moins bien)
Par Suzy Wong
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JDM |
Le manuel du parfait citoyen de l'Arkansas (édition "on vous dit qui vous êtes
Lieu : Galerie d'une vieille maison en Arkansas, en plein milieu d'un après-midi étouffant. Une berceuse en bois couine à faire lever le poil des bras. Les criquets font un bruit à rendre sourd.
Personnages :
- MARTHA (60 et quelques) : Une ex-prof un peu baveuse, mais l'œil encore pétillant, tsé.
- ROWAN (15 ans) : Un jeune qui a l'air d'avoir avalé une horloge, tellement y est nerveux.
- SHERYL (40 ans passés) : La mère à Rowan, tiraillée entre l'anxiété pis le « on va se battre ».
- BUD (60 ans ben tassés) : Le voisin typique, assis sur sa propre galerie à côté, qui épie tout sans rien dire (ou presque). (Rôle muet ou avec des petits grognements ben sentis de temps en temps).
(La scène commence avec MARTHA et ROWAN assis sur la berceuse. SHERYL se balance sur une chaise à bascule pas loin.)
ROWAN : (Les mains crispées) J'peux juste pas croire à ça. Un projet de loi de même… On dirait qu'y veulent faire disparaître le monde comme moi, tabarnouche.
MARTHA : (Y mettant une main sur le bras, l'air de dire « courage mon ti-gars ») Voyons donc, Rowan. Dis pas des affaires de même. C'est pas encore joué. Y a du monde qui va se lever contre ça, tu vas voir.
SHERYL : (La voix qui tremble un peu) Mais Martha, si ça devient une vraie loi…
ROWAN : Pis là? Fini le bon prénom à l'école? Madame Davison pourrait se faire ramasser juste pour m'appeler Rowan? C'est tu sérieux, là?
MARTHA : Ben c'est ça que le projet de loi sous-entend, mon Rowan. C'est… une façon ben large de voir c'est quoi « aider » quelqu'un dans sa transition. On dirait qu'y ont rien d'autre à faire, hein?
ROWAN : Pis si j'veux… si j'veux juste une coupe de cheveux normale? Comme les autres gars? Même ça, y pourraient courir après le coiffeur avec leurs papiers légaux?
SHERYL : (Se lève, les nerfs à vif) Mais c'est n'importe quoi! Y veulent se mêler de la vie privée de nos enfants! De ce qu'y sont au plus profond d'eux-mêmes! On aura tout vu!
MARTHA : C'est une belle tentative de contrôle, Sheryl. De dire c'est quoi le bonbon pis c'est quoi le caca. Pis ça a des vraies conséquences pour des jeunes comme Rowan, tu comprends? Des conséquences ben laides en plus.
(BUD, sur sa galerie, tousse bruyamment, comme pour dire « je vous entends, les radicaux! »)
ROWAN : (Baissant le ton de voix) Y nous entend, le tata.
SHERYL : (Parlant plus fort, l'air de dire « j'm'en câlisse! ») Qu'y entende! Mon gars y a rien fait de mal. Y essaie juste d'être lui-même, sacrament!
MARTHA : (Doucement) Sheryl… Doucement…
SHERYL : Non, Martha. J'suis tannée d'avoir peur. Tannée de parler à voix basse. Rowan est un bon jeune. Y mérite d'être respecté, osti!
ROWAN : (Regardant ses mains, l'air découragé) Mais si le monde a peur de m'aider… Si même les adultes qui tiennent à moi risquent de se faire traîner en cour… Qu'est-ce que j'fais, moi? Je me cache dans le bois?
MARTHA : (Le regardant droit dans les yeux, comme si elle allait lui confier le secret de la potion magique) Tu continues d'être toi-même, mon beau Rowan. Tu vas trouver le monde qui va te supporter, même si c'est plus compliqué qu'avant. Pis on va se battre contre cette loi à deux cennes. On va leur montrer de quel bois on se chauffe, ces épais-là!
SHERYL : (S'approchant de Rowan pis y mettant une main sur l'épaule, l'air de dire « touche pas à mon ti-gars ») Ton père pis moi… on va toujours être là pour toi, mon trésor. Quoi qu'y arrive, hein? Même si on doit vendre le tracteur pour payer les avocats!
ROWAN : (Un petit sourire triste qui en dit long) Même si vous risquez de vous faire poursuivre par la police de la pensée?
SHERYL : (Y serrant l'épaule fort) L'amour d'une mère, mon p'tit loup, ça a pas de prix. Pis ça se laisse pas intimider par une loi de trou du cul.
MARTHA : (Se lève, l'air de dire « on a du pain sur la planche ») Faut qu'on se mette à la job. Faut parler aux autres parents, aux autres profs qui ont du jugement. Faut faire lever le ton, maudit!
(Le soleil commence à descendre, faisant des longues ombres pas rassurantes. Un silence pesant s'installe, plein d'incertitude, mais aussi d'une petite graine de rébellion qui pousse.)
ROWAN : (Regardant au loin, l'air de se demander dans quel pétrin y s'est mis) J'espère juste… j'espère juste que ça va bien aller, à la fin. J'aimerais ben ça, que ça finisse par bien aller, ciboire.
MARTHA : (Y souriant d'un air entendu) Ça va aller, mon Rowan. On va s'arranger pour que ça aille. On va leur montrer que le gros bon sens, c'est pas juste une expression québécoise!
(La lumière baisse tranquillement. On entend encore le couinement de la berceuse pis le bruit infernal des criquets. BUD se lève de sa galerie pis rentre chez lui en claquant la porte, laissant les trois autres figures dans la semi-obscurité, l'air de dire « ben coudonc! »)
FIN DE LA SCÈNE
Arkansas : Où même votre coiffeur pourrait vous coûter cher.
Lieu : Un petit salon de coiffure un peu vieillot, mais propre et accueillant. Des photos de coupes de cheveux des années 80 ornent les murs. On entend le bourdonnement d'un séchoir à cheveux au loin.
Personnages :
- ROWAN (15 ans) : Visiblement un peu nerveux, mais avec une lueur d'espoir dans les yeux.
- GINETTE (50 et quelques) : La coiffeuse, chaleureuse et directe, avec un fort accent québécois. Elle porte un tablier coloré.
- SHERYL (40 ans passés) : La mère de Rowan, un peu sur les nerfs, mais essayant de rester positive.
(ROWAN est assis sur une chaise de coiffure, une cape autour du cou. GINETTE examine ses cheveux avec un sourire.)
GINETTE : Alors mon beau Rowan, qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui pour te rendre encore plus beau que tu l'es déjà?
ROWAN : (Un peu hésitant) Ben… j'aimerais… une coupe de gars, tu sais? Plus courte sur les côtés… un peu plus de longueur sur le dessus.
GINETTE : (Hocha la tête en souriant) Une belle coupe moderne pour un jeune homme dans l'temps. J'aime ça! Sheryl m'a jasé un peu de ce que tu voulais. T'inquiète, ma belle, on va faire ça comme du monde.
SHERYL : (Assise sur une chaise d'attente, les mains serrées) Merci Ginette. On apprécie vraiment. Avec… avec les nouvelles ces temps-ci…
GINETTE : (La coupant doucement en commençant à vaporiser les cheveux de Rowan) Ah, les nouvelles… Écoute, ma Sheryl, moi dans mon salon, on fait des belles têtes. Point final. Si quelqu'un a un problème avec ça, ben qu'y vienne me le dire en face. J'ai mon diplôme, j'ai ma licence, pis j'ai le droit de faire mon criss de travail comme je l'entends.
ROWAN : (Un petit sourire se dessine sur ses lèvres) C'est vrai.
GINETTE : (Le regardant dans le miroir) Pis toi mon Rowan, t'as le droit d'avoir la coupe de cheveux qui te fait sentir bien dans ta peau. C'est ça le plus important, tu comprends? Le reste, c'est du flan de marde.
SHERYL : (Soulagée) C'est tellement vrai, Ginette. C'est juste… on a tellement peur avec ce projet de loi qui traîne. On dirait qu'ils veulent punir le monde juste pour être gentil.
GINETTE : (Prenant ses ciseaux) Punir le monde pour être gentil? Ben voyons donc! C'est le monde qui pense de même qu'il faudrait punir, si tu veux mon avis. Mais bon, moi je suis juste une coiffeuse. Ce que je sais faire, c'est des belles coupes. Alors, on y va?
ROWAN : (Prenant une profonde inspiration) Oui. On y va.
(Ginette commence à couper les cheveux de Rowan avec assurance. Sheryl observe attentivement, un mélange d'anxiété et d'espoir dans les yeux. On entend le bruit des ciseaux et les commentaires rassurants de Ginette.)
GINETTE : Tes cheveux sont beaux et épais, mon Rowan. On va te faire une coupe qui va te mettre en valeur, tu vas voir. Un petit coup de ci, un petit coup de ça… Pis on va te donner un look d'enfer! Tu vas faire tourner les têtes, mon homme!
ROWAN : (Regardant son reflet dans le miroir, ses yeux brillent un peu plus) J'espère bien.
SHERYL : (Avec un léger sourire) Je suis sûre que oui, mon chéri.
GINETTE : (Après quelques minutes, s'arrêtant pour regarder son travail) Bon, qu'est-ce que t'en penses jusqu'à maintenant? Ça te plaît?
(Rowan se regarde attentivement dans le miroir. On voit un changement subtil dans son expression. Il semble plus confiant.)
ROWAN : Oui… oui, j'aime ça. C'est… c'est plus moi.
GINETTE : (Lui tapotant l'épaule avec un sourire) Ben voilà! C'est ça l'important. Que tu te sentes toi-même. Le reste, on s'en câlisse. Maintenant, on finit ça en beauté!
(Ginette reprend la coupe, avec un air déterminé. Sheryl regarde son fils avec un soulagement palpable. Pour un instant, dans ce petit salon de coiffure, loin des débats politiques et des menaces de poursuites, il y a juste Rowan qui reçoit la coupe de cheveux qu'il désire, et une coiffeuse qui fait son travail avec fierté et bienveillance.)
FADE OUT.
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