La beauté ordinaire (sans interventions divines)
Par Suzy Wong

Ah ben les "miracles"! Un mot drôlement vieillot, aussi dépassé qu'une mitaine de laine dans un rave. Laissez-moi vous guider, avec la délicatesse d'un chat qui veut pas se faire flatter, vers la sortie de cette drôle d'idée-là.
L'autre jour, ma voisine, on va l'appeler Ginette pour pas la nommer, s'est écriée : "Amélie! Un miracle! Mon caoutchoutier a refleurri!" J'ai regardé la plante. Une petite branche verte qui avait de la misère à pousser entre deux feuilles jaunes comme de la paille. Un miracle? Ou juste le dernier effort d'une plante qui, après avoir tout essayé pour survivre en douce, tentait une poussée de photosynthèse désespérée avant de crever sous le nez indifférent de sa gardienne? J'ai penché pour la deuxième affaire, moins poétique, c'est sûr, mais tellement plus en ligne avec la dureté ordinaire du monde. Le miracle, ç'aurait été que le caoutchoutier se change en un beau bonsaï qui récite du poète japonais. Là, j'aurais peut-être levé un sourcil.
Pis qu'est-ce qu'on dit de ces "guérisons" soudaines? Mon oncle Réjean, après avoir mangé une quantité industrielle d'ail et prié Sainte-Thérèse (allez savoir pourquoi), a vu sa verrue disparaître de son pied. "Un miracle!" qu'il a crié, sentant l'ail à dix pieds à la ronde. J'ai suggéré que l'acidité de sa sueur, combinée au frottement de ses bas en nylon, pis, soyons gentils, à un système de défense qui en avait juste assez de cette bibitte-là, avait fait la job. Le miracle, pour moi, ç'aurait été que sa verrue se transforme en un petit champignon qu'on peut manger, une morille par exemple. Là, j'aurais peut-être goûté, juste par curiosité scientifique, bien entendu.
L'existence même du grille-pain, c'est une preuve que les miracles, ça existe pas. Si une force plus grande voulait bien s'occuper de nos cuisines, pensez-vous pas qu'elle aurait inventé, depuis le temps, un appareil qui dore les deux côtés de la toast de même sans jamais brûler les bords? Non. On est pognés à surveiller ça tout le temps, à être frustrés le matin, à jeter des miettes brûlées à cause de notre oubli. C'est ça la vraie vie, dure de dure. Un miracle, ç'aurait été que mon grille-pain me serve, un matin, une tranche de pain blanc parfaitement dorée, avec une goutte de rosée pis un vers d'un poète d'ici écrit en confiture de framboises. J'attends encore.
Pis l'amour, vous allez me dire, avec les yeux brillants? Trouver sa moitié dans ce bordel qu'est la vie? Pure chance, mon ami. Le miracle, ce serait de tomber en amour avec quelqu'un qui non seulement tolère tes habitudes bizarres, mais qui, en plus, sait comment accorder le participe passé avec "avoir" quand le complément est placé avant. J'ai plus de chances de voir ma collection de vieux livres se mettre à parler et organiser un débat sur le sens du mot "niaiserie".
Non, vraiment, les miracles, c'est pour ceux qui ont la paresse de chercher une explication logique, ou pire, qui manquent pas mal d'imagination. Ils préfèrent une intervention divine facile à la joie de comprendre quelque chose. Si les miracles existaient, ma bouteille de mousseux se remplirait toute seule après chaque verre. Mais je vois, avec une tristesse infinie, qu'elle se vide, elle, sans arrêt. Preuve claire, s'il en faut une, qu'on est seuls avec nos désirs pis la fin de nos bulles. Pis c'est peut-être ça, finalement, la seule affaire qui vaut la peine d'être vécue sans attendre d'aide du ciel. À la vôtre.
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