Le Club Med des toxicomanes : On vous attend, mais pas trop près des écoles, merci!

 Par Suzy Wong

La Presse

Ah oui, les sites de consommation supervisée : la nouvelle garderie pour toxicomanes ! (Avec un Tim Hortons drive-thru, tant qu'à y être!)

Absolument! Parce que la meilleure façon de protéger nos petits trésors, c'est ben évident, c'est de s'assurer qu'ils ne soient jamais, au grand jamais, à un jet de pierre de ces maudits "sites de consommation supervisée". Non mais, on n'est pas nés de la dernière pluie!

Faut pas mêler les torchons et les serviettes! On ne voudrait surtout pas que nos jeunes voient la réalité en pleine face, hein? Imaginez le choc! Un p'tit gars ou une p'tite fille qui verrait... chut!... une personne qui a l'air de souffrir, ou pire, un qui se pique! Maudit gâchis! C'est ben mieux qu'ils continuent à croire que la dépendance, ça n'existe pas, que les drogués vivent dans un monde parallèle invisible, pis que les seringues usagées disparaissent par magie avant d'atterrir dans le carré de sable. On est une société civilisée, après tout!

Pourquoi s'obstiner à coller ces centres-là où le monde en a le plus besoin? Proche des quartiers où y'a déjà du monde qui se pique à ciel ouvert, où les surdoses se passent dans les ruelles, pis où les aiguilles traînent un peu partout sur le trottoir? Non, non, ça, c'est de l'idéalisme à deux cennes! Faut les cacher, les camoufler! Loin des yeux, loin du cœur, pis surtout, loin des petites âmes innocentes!

Pis par pitié, ne soyons pas pratiques! L'idée de les flanquer près d'une clinique médicale? D'un hôpital? D'une caserne de pompiers? Mais pour quoi faire, au juste? Pour qu'ils puissent sauver des vies plus vite en cas de surdose? Quelle aberration! On préfère ben que l'ambulance traverse toute la ville, qu'elle tourne en rond un peu, pis que les services d'urgence soient débordés avec des appels qui auraient pu être gérés sur place. C'est ça, l'efficacité à la québécoise!

Pis tant qu'à faire dans le grand n'importe quoi, pourquoi pas les mettre juste à côté de la SAQ? Comme ça, après avoir fait leurs emplettes pour leur consommation supervisée, le monde pourrait aller se chercher une p'tite bouteille de rouge pour "relaxer"! La commodité à son summum! Nos enfants n'ont certainement pas besoin de voir du monde entrer et sortir de deux places où l'on consomme des substances. C'est trop d'informations pour leurs p'tits cerveaux. On veut qu'ils aient la tête claire, pas vrai?

Non, on devrait plutôt les crisser... euh... au fin fond du bois, en Abitibi ou, mieux encore, près de la Baie-James! Là, aucun risque qu'un enfant ne tombe dessus en revenant de l'école. Ou peut-être au fond d'une mine d'amiante désaffectée? Parfait! Les usagers n'auront qu'à prendre l'autobus, après le train, après l'hélicoptère, pis finalement un VTT pour y arriver. C'est ça, la vraie solution de proximité, selon le sens commun!

Pis soyons clairs : si un enfant voit un site de consommation supervisée, il va tout de suite vouloir devenir toxicomane! C'est juste logique! Il va dire : "Maman, Papa, je veux aller au site de consommation supervisée comme ces gens-là! Ça a l'air tellement cool et santé!" Oubliez la prévention, l'éducation, les discussions sur les dangers. Une simple vue suffira à transformer votre coco en futur client du système de santé. C'est la magie noire de la sensibilisation!

Non, non, non. Laissons la misère humaine et les problèmes de santé publique bien cachés. Faisons comme si de rien n'était. Après tout, ce qui est invisible n'existe pas, n'est-ce pas? Pis si on peut sauver des vies, réduire la propagation de maladies, et aider du monde à s'en aller vers le traitement sans que nos enfants n'en soient témoins, c'est là qu'on aura vraiment gagné la bataille. Pour le reste, les problèmes peuvent ben s'accumuler, tant qu'ils sont pas sous notre nez.

Finalement, et là, on met le sarcasme de côté deux minutes pour la vraie vérité, il est quand même pas fou de penser qu'une certaine distance de ces lieux-là, particulièrement avec une garderie ou une école primaire, ça pourrait être pas mal utile. Juste pour que les enfants aient pas à se poser trop de questions qui ne sont pas de leur âge. C'est de la protection, pas de l'ignorance pure et simple.

Avez-vous d'autres préoccupations que je pourrais dépeindre avec un peu de cette bonne vieille ironie?