Fous rires assurés : Les derniers six heures de mon père trépassé et encore avec nous...

J'ai souvent  parlé ici de la démence vasculaire de mon père et du fait qu'il est demeuré à la maison jusqu'à sa mort.  Cependant, même si je l'ai souvent raconté à mes amis, jamais je n'ai écrit dans ce blogue que j'ai longtemps considéré comme mon cyberjournal du quotidien comment la finale de mon père, bien qu'éprouvante, fut d'un comique digne d'une pièce de théâtre d'été.

D'abord, il faut que je vous dise que Xavier n'avait que six mois, qu'il me demandait encore à boire à toutes les trois heures, que ça faisait une couple de nuits que ma mère me réveillait à tout coup pour me dire qu'elle croyait que mon père était mort quand, finalement, mon père est mort pour de vrai.

 À 1h du matin le 23 juin 2011, à moitié endormie dans le lit alors qu'enfin Xavier dormait comme un loire, ma mère me réveillait :

«Suzy, il faut que tu viennes.  Là, je crois que ton père est mort!»

À ça, j'avais répondu, impatiente de m'en retourner dans les bras de morphée :

«Maman, je me lève seulement s'il est mort pour de vrai.  
Donc, s'il est juste un peu mort, là, moi, je passe mon tour.»

À ma mère de répliquer ceci :

«Suzy, comment je fais pour savoir s'il est vraiment mort, d'abord ?»

En me disant ceci, je réalisai soudain que je n'entendais plus les râles du paternel qui m'avaient tant exaspérée les trois derniers jours, qui m'avaient presque fait perdre la tête, qui m'avaient fait appeler mon chum en braillant. D'ailleurs, comment oublier cet appel dans lequel je lui répétais sans cesse qu'il fallait en finir drette là parce que ce souffle  de vie qui se mourrait était en train de tous nous rendre débiles?  Comment oublier cet appel dans lequel mon chum me disait de ne pas faire de niaiserie?

En entrant dans la chambre de mon père, à entendre le silence, j'avais compris que cette fois-ci était la bonne et que mon père n'était plus là.  Mais parce que ma mère voulait en être vraiment sûre, parce qu'elle était capable de se convaincre qu'il respirait encore, j'avais mis un petit miroir devant sa bouche en lui expliquant que s'il n'y avait pas de buée qui apparaissait ça voudrait dire qu'il était mort-mort- raide mort.  Effectivement, le test fut positif. Eh oui!  J'avais vu ça dans un film de série B à la télé...

Après constatation du décès de ma part, s'en était suivi le fameux protocole...

Je ne sais plus trop quand est-ce que j'ai appelé là où je devais appeler pour signaler le décès, mais c'était sûrement une quinzaine de minutes plus tard, juste après avoir réveillé les deux frères pour qu'ils puissent aller faire leurs adieux ou je ne sais quoi d'autre à notre paternel.   À ce moment-là, je ne savais pas encore que mon père n'allait pas quitter rapidement le domicile. L'un, le plus jeune, était allé se coucher près de lui; l'autre, blême comme un drap, n'avait même pas voulu approcher le cadre de la porte.  

Appel passé là où on dit que le patient à domicile est trépassé :

 - Madame, je vous appelle pour vous signaler que mon père Chueong Siu Wong est dé...

          N'avais pas eu le temps de terminer ma phrase que  la dame me demanda :

- Est-ce vous qui avez appelé plus tôt ?

          À la place, moi j'avais entendu «Vous auriez dû appeler plus tôt!».  Donc, ce fut à partir de ce moment là, que, malgré nous, le fun avait commencé à pogner.

- Euh... je suis perplexe.  Sur le cartable, c'était bel et bien écrit de composer ce numéro de téléphone seulement quand la personne était morte.  

De l'autre côté de la ligne, la madame qui fut un moment silencieuse reprit plus ou moins sur un ton qui se voulait professionnel :

- Je crois que vous n'avez pas bien compris ce que je viens de vous demander.  Je vous le redemande encore, est-ce que c'est vous qui avez appelé plus tôt ? 

 Moi, probablement bien fatiguée, trop spontanée, je répondis :

- Ben non ! Plus tôt, même s'il était déjà peut-être mort un peu ou voire beaucoup, moi je ne le savais pas encore.  Donc, je n'ai pas pu vous appeler plus tôt !  

         Mon frère aîné qui était juste à mes côtés, parce qu'il était super nerveux et aussi parce que son fils de 11 ans à moitié endormi lui avait répondu très candidement quand il lui avait annoncé que son grand-père était mort de venir lui en rejaser plus tard,  s'était mis à rire comme un malade. Idem de l'autre bord de la ligne : la réceptionniste était crampée en deux.  Pis moi, voyant ma mère qui me regardait comme si j'étais la fille la plus indigne de la planète, m'étais mise à ricaner itou.   Dans mon souvenir, je crois que ces fous rires avaient duré un bon 5 minutes avant que la dame ait pu retrouver son sérieux pour me dire qu'elle nous envoyait quelqu'un.

Mon frère aîné, n'aimant pas trop savoir qu'il partageait les mêmes murs que notre père mort, n'avait pas cessé de me demander quand est-ce qu'on viendrait chercher son corps.  N'ayant pas de réponse claire à lui donner sur le sujet, voulant sûrement aussi le rassurer, je lui avais répondu maladroitement que ce n'était pas si pressant que ça, vu que c'était sûr et certain que papa serait là quand on viendrait le quérir.  Après tout, on n'avait jamais vu un mort partir en courant.  

Enfin, à 2h 45 ou 3h 00 du matin, quelqu'un sonnait à la porte.  Mon frère aîné était soulagé, bientôt, pensait-il alors,  il ne serait plus à côté d'un corps mort.  Erreur !  Y'avait d'autres étapes...

1ère étape : Visite de l'infirmière.  
Après nous avoir souhaité sa sympathie, elle entra dans la chambre et d'un ton solennel, elle nous annonça que notre père était mort.  À cela, abasourdis, mon frère et moi, le sourire fendu jusqu'aux lèvres, on se chuchota qu'elle ne détenait pas un grand scoop.  Bref,  son job à elle, c'était de le désintuber, de compter les fioles de morphine restantes et d'appeler un médecin pour qu'il passe à son tour.  

2ième étape : à 5h30 du matin, visite du médecin.  
Après nous avoir souhaité toute sa sympathie, elle entra dans la chambre et d'un ton solennel, elle nous annonça que notre père était mort. Là, mon frère et moi, puis même ma mère, on se mit à rire. Son job à elle, c'était de remplir de la paperasse, nous demander certaines pièces d'identité telles que son passeport (je me suis toujours posé la question à savoir pourquoi elle avait voulu ça, sûrement pas pour empêcher mon père de quitter le pays... sti! Y'était mort...), puis nous remettre un certificat de décès qui allait nous faire passer à la troisième étape : l'heure de lâcher un coup de fil aux pompes funèbres.  

3ième étape : à 7h, le corbillard et deux messieurs arrivent.
Après nous avoir souhaité toute leur sympathie, les deux messieurs entrèrent dans la chambre de mon père et ne nous annoncèrent pas qu'il était mort.  Par contre, ils nous demandèrent le certificat de décès signé par le médecin. Avec le plus grand décorum possible, malgré mon fils de 6 mois qui était fou comme de la marde et qui ne cessait d'applaudir, ils installèrent mon père dans un sac bleu qu'ils zippèrent, le sortirent sur une sorte de civière, le déposèrent dans le corbillard et quittèrent.  À ce moment précis, mon frère aîné, très triste, fit une constatation surprenante :

«C'est fini ?  Je n'ai même pas eu le temps de lui dire au revoir ! »

On avait eu beau tous brailler comme des veaux en voyant le corbillard s'en aller, la déclaration de mon frère nous avait fait rigoler.  Sibole ! Mon père, ou plutôt son cadavre, était resté six heures à nos côtés. Sérieusement, s'il avait voulu lui faire ses adieux à notre pater, il en aurait eu le temps en masse!

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